Les étudiants sont plus nombreux mais ils sont aussi en plus grand nombre à rencontrer des difficultés pour financer leurs études ou pour se loger. Fort de cela, le gouvernement ivoirien a placé au cœur de ses préoccupations, l’amélioration de leurs conditions de vie et d’étude. La livraison de certaines cités réhabilitées et équipées après la crise postélectorale, a soulagé les étudiants, notamment ceux qui n’ont pas de parents à Abidjan. Cette réhabilitation a permis à ces derniers d’étudier et de se loger dans un cadre idéal. Il s’avère que malgré ce grand effort du gouvernement ivoirien, des étudiants se plaignent toujours de leurs conditions de vie dans ces dortoirs.

En dehors des résidences universitaires non encore fonctionnelles (cités universitaires de Port-Bouët, d’Adjamé, Vridi-cité et d’Abobo), les résidences du campus de l’Université Félix Houphouët-Boigny, de Mermoz, de la Cité Rouge et de la Riviera 2, ont ouvert leurs portes suite à des revendications des étudiants.
Mais la crise sanitaire provoquée par le coronavirus a eu d’importants effets sur leurs conditions de vie. Les étudiants résidents des cités universitaires ont été les plus affectés par les conséquences du confinement.
Parmi les étudiants interrogés dans ces dortoirs, 35% jugent leurs ressources insuffisantes et sont contraints de travailler pour subvenir à leurs besoins primaires (alimentation, logement, transport, etc.).
Ils exercent des activités qui n’ont aucun lien avec les études
Nombreux sont ceux qui déclarent être en activité qui n’a aucun lien avec les études pendant l’année universitaire. Et cela a un impact négatif sur leurs résultats scolaires. Cet emploi est souvent source de stress et de fatigue pour l’étudiant et peut avoir un impact sur sa santé physique et psychologique.
Le confinement lié au coronavirus a également eu des conséquences fortes sur les activités rémunérées des étudiants puisque la plupart de ceux qui exerçaient une activité ont arrêté leur travail (aide-maçons, vigiles, vendeurs ambulants, tenancières de maquis, gérantes de bar, servantes, prostitution etc.).
Le constat est patent surtout chez les jeunes étudiantes, qui en plus des études ont décidé d’être employées comme domestiques dans des familles riches les heures libres ou les Week-end. Nous avons rencontré trois d’entre elles. Récit :
Université de Cocody. On est jeudi 27 Mai 2021, dans une salle de T.D (travaux dirigés) de l’UFR des Sciences Juridiques. Madeleine, c’est son nom d’emprunt. 23 ans, étudiante en Licence de droit privé s’attelle à récupérer tous les cours qu’elle a manqués ces derniers jours pour en faire des photocopies…D’ailleurs, c’est une habitude pour elle de prévoir chaque fois de l’argent pour photocopier les cours. Depuis la deuxième année, elle n’assiste pas à tous les cours, surtout à ceux des jours ordinaires. Son travail de domestique la cloue totalement.
Quant à Gislaine, elle arrive à suivre les cours du vendredi soir et de samedi matin. Elle s’inquiète de ses mauvaises notes à cause de son boulot. Pendant le week end, à 23 heures, on retrouve Gislaine. Reconvertie en serveuse, elle s’active dans un bar à Anono-Village à la Riviera Golf dans la commune de Cocody. Jupe courte et transparente, coiffée de mèche rouge et la poitrine exposée pour aguicher tout client qui désirait solliciter son service. Un look identique à celui de toutes les serveuses du coin.
« Je travaille dans ce bar depuis 9 mois. Mon père est à la retraite et il est malade. Le peu que ma mère gagne dans son commerce, elle le prend pour s’occuper de la famille et pour payer les médicaments de mon père. Chaque jour de travail, j’ai 2000 F CFA comme prime de transport. Il y a les pourboires qui peuvent aller jusqu’à 10 000 F CFA, les Week-end… Pour les cours, je me suis arrangée avec une de mes camarades de Fact : Pendant l’année scolaire, je bosse les matins entre 10 heures et midi », a-t-elle confié.
« L’argent de mes parents suffit à peine à payer la scolarité…Or, je dois m’habiller, je dois manger…», poursuit-elle. Grâce à une des camarades à Gislaine que notre équipe de reportage a pu mener cette enquête. Selon une autre étudiante en MASTER 2 en sociologie à l’Université Félix Houphouët-Boigny, la vie en Cité reste pour elle qu’un mauvais souvenir.
Celles qui n’ont pas la chance de se trouver du boulot pataugent entre misère et galère. Et même pour pouvoir subvenir à leurs besoins, des jeunes étudiantes s’adonnent à la pratique de la prostitution. Or, cette aventure ambiguë mène souvent à des fortunes diverses qui empiètent les études surtout pour les cas de grossesses.
C’est le cas d’une jeune étudiante en Lettres Modernes que nous avons rencontrée à la cité A1 à l’Université Félix Houphouët-Boigny de Cocody. Cette fille âgée de 19 ans, a dû abandonner un peu les cours à cause de la grossesse qu’elle porte. La plupart d’entre elles sont à la merci des coureurs de jupons qui abusent ou qui profitent de leur situation de vie.
De plus en plus de jeunes étudiantes se prostitueraient, nécessité ou facilité ?
Depuis plusieurs mois, les étudiantes de la Cité de la Riviera 2 se plaignaient d’allées et venues d’hommes «incessantes» jusqu’à tard dans la nuit, mais surtout des cris d’hommes et femmes en plein ébat sexuel dans la chambre d’une jeune étudiante en communication. Il semblerait en fait que cette étudiante utilisait sa chambre comme un lieu de ‘’passage’’ pour recevoir ses clients.
Elles sont jeunes, belles, régulièrement inscrites dans les universités d’Abidjan. Mais face aux difficultés de la vie, elles ont choisi la voie de la facilité : la prostitution. Et après les cours, ces filles s’adonnent au plus vieux métier du monde, malgré tous les risques.
« Toutes les filles ont plusieurs gars qui s’occupent d’elles. Je suis en résidence pour recevoir mes clients. Je sais que si je fais ça en cité, j’entendrais certains propos sur mon compte, et ça va me faire mal. Mais c’est ce que je fais pour payer mon loyer, me nourrir et payer mes fascicules. En ce moment, au niveau des études, je fais ce que je peux. Souvent, je suis obligée de « tirer » les cours, surtout quand j’ai beaucoup de clients. Mais, je vais arrêter tout ça quand je serai en année de thèse», a raconté une étudiante en Science Economie et de Gestions dont nous avons fait la découverte sur un site Web de rencontres et qui a accepté de nous recevoir sous le couvert de l’anonymat dans sa résidence à la Riviera Palmeraie dans la commune de Cocody.
Nous l’entendions dire qu’elle gagne plus de 20.000 F CFA par jour. Elle a trop de soucis ces derniers temps, ajoute-t-elle, car non seulement elle doit payer son loyer mais en plus, il faut acheter le fascicule et envoyer de l’argent à sa mère qui s’occupe de sa fille à Man.
A entendre ces filles, vendre les charmes de leur corps n’est qu’une simple étape dans leur vie. Une étape dont elles espèrent sortir quand elles le décideront. Se prostituer pour assurer ses études le jour, voilà donc l’équation grâce à laquelle certaines étudiantes de l’université de Cocody survivent. La prostitution étudiante n’est pas nouvelle. Mais les personnes concernées ne se reconnaissent pas en situation de prostitution.
Faire face à la précarité
« Ce que je fais comme travail s’accorde avec mes études. Depuis que je suis en résidence, mes problèmes ont beaucoup diminué. Selon les clauses du contrat avec mon patron, je dois satisfaire deux clients par jour. Je gère le ‘’Bizy’’ après les cours en résidence à la Riviera Faya dans la commune de Cocody. Cet argent me permet aussi de payer ma chambre en cité », lâche une autre étudiante de 21 ans en licence de Géographie, dont nous avons aussi fait la connaissance sur ce même site WEB de rencontre entre hommes et femmes. Elle s’est tournée vers la prostitution après avoir redoublé par manque de moyens et de ne pouvoir pas assurer son quotidien. Avec l’argent de la prostitution, selon elle, elle parvient à réviser dans la tranquillité.
Résidences fonctionnelles : des capacités insuffisantes
A l’heure où la Fédération Estudiantine et Scolaire de Côte d’Ivoire (FESCI), et les étudiants soulignent le coût élevé des études,le prix des chambres des résidences universitaires du Centre Régional des Œuvres Universitaires d’Abidjan (CROU-A) ont connu une légère hausse. Les chambres à deux lits sont passées de 3500 à 6000 FCFA et les chambres individuelles de 4000 à 10.000 FCFA. « Ce n’est pas un prétexte pour empêcher les étudiants d’avoir des chambres en cité, même si tous les étudiants n’ont pas accès aux chambres », Révèle un des responsables du CROU -A. Cette augmentation est consécutive à la qualité de l’offre qui s’est améliorée. Les résidences ont été entièrement rénovées et équipées.
Les chambres sont désormais munies de lits et matelas neufs, placards incrustés, table de travail et chaises. « Par le passé, les étudiants venaient avec leurs matelas et leurs lits. Mais aujourd’hui, tout est offert. Et chaque année, le CROU-A va procéder au changement de tout le mobilier de la chambre. C’est une grande première », a confié, sous le couvert de l’anonymat, un autre membre du CROU-A.
Par ailleurs, le cadre est désormais enchanteur. En prime, des espaces verts. Les infrastructures sportives qui ont été également rénovées, permettent à l’étudiant de se distraire et se décompresser. La deuxième raison de cette hausse répond à un souci de pérenniser les acquis. Le budget affecté à la réhabilitation des résidences, s’élève à 2,3 milliards FCFA. Ce montant s’avère insuffisant alors que le CROU-A a besoin de ressources additionnelles pour faire correctement l’entretien de ces résidences universitaires.
Selon ces responsables du CROU, la contribution est estimée à 8 %. Même avec l’augmentation du coût des chambres, cette contribution est à moins de 10 %. Cette augmentation est raisonnable et n’est pas excessive. C’est une décision du Conseil de Gestion du CROU d’Abidjan.
Ces logements sont de moins en moins accessibles. Le Centres des Ouvres Universitaires (Crou) fait face à une forte demande de logements sans avoir les capacités de loger l’ensemble des demandeurs. D’autres étudiants logent d’autres camarades à cause du manque criard de chambres dans les résidences du campus de l’Université Félix Houphouët-Boigny, de Mermoz, de la Cité Rouge et de la Riviera 2.

Le gouvernement entend livrer d’ici à fin 2021 les 1 600 chambres que comptent les cinq cités de la commune de Port-Bouët (Port-Bouët 1, 2 et 3, et Vridi 1 et 2). Prévues pour loger les étudiants de l’Université Nangui Abrougoua d’Abobo-Adjamé, les résidences de Williamsville, d’Adjamé 220 et d’Abobo 1 et 2 sont aussi en réhabilitation. Objectif : loger 2 647 étudiants dans un nouveau décor. Bientôt le processus de réhabilitation va s’achever pour le bonheur des étudiants. La situation est similaire dans la plupart des grandes villes étudiantes ivoiriennes.
La question de l’alimentation
À la question, 51% des étudiants déclarent sauter des repas. Les raisons sont multiples : d’autres par manque de temps ou à cause d’horaires irréguliers, certains pour des raisons financières et une minorité pour des raisons de santé.
« On offre 10 000 plats par jour, or nous sommes plus de 65 000 étudiants à l’Université Félix Houphouët-Boigny. On nous a promis la réouverture très prochaine d’un nouveau restaurant. Sinon pour l’instant, les étudiants se débrouillent pour manger. Nous sommes en train de voir le ministère de la santé pour que les conditions d’hygiène soient respectées et pour un contrôle de la qualité des plats servis », souligne M. Saint Clair Allah, Secrétaire général de la Fédération Estudiantine et Scolaire de Côte d’Ivoire (FESCI).
Le Secrétaire général de la FESCI sollicite la mansuétude du président Ouattara
Selon M. Saint Clair Allah, Secrétaire général de la Fédération Estudiantine et Scolaire de Côte d’Ivoire (FESCI), en termes de bilan, ce n’est pas assez satisfaisant. Pour lui, l’entreprise en charge de la réhabilitation des résidences Universitaires (SIMDCI), a failli un peu à sa mission. Car aujourd’hui, les cités d’Abobo, de Williamsville et toutes les cités Port-Bouet sont fermées.

« Il y a un an que on nous a promis que en septembre ce sera réglé. Il n’y a que deux cités, c’est-à-dire celles de Port Bouet 2 et Williamsville c’est là qu’on loge. Le bilan n’est pas nul mais il n’est pas satisfaisant. Ces cités ne peuvent plus loger la quasi-totalité des étudiants (plus de 200 000 étudiants). Ça fait dix ans qu’on nous promet que les étudiants vont sortir des amphithéâtres et que les jeunes filles qui se lavent dans les gazons sortiront de là pour aller dans les résidences universitaires. Donc pour nous, le travail n’est pas encore fait. C’est le lieu pour nous d’interpeller la SIMDCI qui est officiellement en charge de faire son travail. Et profiter pour dire au président de la République SEM Alassane Ouattara, qu’on ne peut pas construire sa maison et ne pas passer la visiter. Nous les étudiants de Côte d’Ivoire souffrons de ce que le président ne soit pas encore passé à l’Université. Or il faut qu’il passe pour voir ses gros investissements qui ont été annoncés à hauteur des centaines de milliards, à quoi ça servi et qu’est ce qui reste à faire ? », a-t-il souhaité.
Les étudiants prêts à mettre à la disposition du chef de l’Etat l’étude faite sur les résidences Universitaires
La FESCI se dit prête à mettre à la disposition du chef de l’Etat son plan d’étude pour qu’il sache l’évolution réelle des conditions dans lesquelles les étudiants vivent. Toutefois, elle souhaite que le président puisse construire de nouvelles cités universitaires autres que celles qu’on connait à Daloa, Korhogo, Bouaké et Man. Sans oublier les villes qui sont ne sont pas très éloignées d’Abidjan comme à Bingerville, Bassam, Dabou etc…
« Le nouveau social en termes d’appui est presque inexistant. On sait que le portefeuille du budget alloué aux secours financiers des étudiants fait 11 milliards, 7miliadrs en Côte et 4 milliards hors Côte d’Ivoire. Il faut aussi mesurer la cherté de la vie par rapport au budget qu’on apporte aux étudiants. Cela ne peut rien faire de nos jours où les étudiants sont obligés de s’associer pour se louer des dortoirs. Et comme on voit que l’Etat a démissionné vis-à-vis des étudiants, ils ne peuvent pas voler ou rester à ne rien faire. Donc il faut trouver quelque chose à faire. Avant c’était les cours à domicile mais on parle de 200 000 étudiants. Où tous ceux-là vont trouver des cours à domicile ? Il faut que l’Etat puisse faire comme dans d’autres pays où l’étudiant va prendre des prêts à la banque pour pouvoir financer ses projets. Il faut que la bourse de l’étudiant passe de 600 000 à 1 200 000 F pour ceux qui sont en thèse d’évaluation. Donc à ce nouveau, on souhaite que le président se saisisse du dossier des étudiants et élèves de Côte d’Ivoire, parce que aucun Etat ne peut se développer sans sa jeunesse et sans sa intelligencia », a plaidé le premier responsable de la FESCI.
« Ce que je peux dire, c’est que les conditions de précarité auxquelles nous sommes livrées poussent l’étudiant à se détourner un peu des études. Le système pousse la quasi-totalité des jeunes filles à la facilité. A côté de cela, il y a le phénomène de la drogue où l’étudiant pour oublier ses problèmes s’adonne souvent à la consommation de la drogue. Les inscriptions sont chères et en même temps, il n’y a pas de mesure pour soutenir les étudiants. Nous faisons aussi des séminaires de formation pour étaler les difficultés qui minent l’école et faisons des propositions de solutions afin de redresser le système scolaire et universitaires ivoiriens », a-t-il conclu.
Enquête réalisée par Fofana Zoumana
PHOTOS : Désirée Tapée et Kamana 2NB